L’esprit de l’enseignement de la philosophie au Studium
Zoom sur l'enseignement de la philosophie au Studium avec M. Jean-Luc Villiers-Moriamé, diacre permanent et professeur de philosophie au Studium.
Quel est le profil des étudiants actuels au Studium ?
Le profil des étudiants est divers par leurs origines géographiques et culturelles à l’image de l’Eglise universelle. Si la majorité d’entre eux ont fait des études supérieures, peu ont poursuivi des études littéraires ou philosophiques. Il y a bien sûr la présence des séminaristes mais aussi de religieux ou religieuses, d’étudiants extraordinaires ou d’auditeurs libres. Nous devons dès lors nous adapter particulièrement à la différence linguistique. C’est un vrai défi pédagogique pour nous, et pour les étudiants : apprendre à penser la philosophie avec le français est une épreuve qu’ils surmontent dans le temps avec beaucoup de courage. Il est nécessaire de les aider à dialoguer à partir de deux univers culturels et c’est une très grande richesse pour eux et pour nous. Nous profitons aussi des séminaires de rentrée des professeurs et de rencontres dans l’année pour échanger sur nos pratiques pédagogiques.
Quelle pédagogie adoptez-vous pour l’enseignement de la philosophie ?
Faire de la philosophie au Studium, pour un séminariste qui se prépare au sacerdoce, est un chemin progressif mais nécessaire aux futures études théologiques. Un chemin car la philosophie est pour beaucoup d’entre eux lointaine voire inexistante. Il s’agit de se mettre en marche pour peu à peu affronter la montagne philosophique aux chemins complexes, parfois escarpés et dont la hauteur peut donner le vertige par son niveau d’abstraction. Dans ce chemin nous les accompagnons devant eux, mais aussi à côté d’eux voire parfois derrière eux afin de les laisser découvrir par eux-mêmes ces chemins. Tenter de les rejoindre sur leur chemin, où la culture est éloignée de ce que nous vivons : c’est vrai pour les Français (différence de génération) et les non Français (différences de langue, d’histoire et de manière de réfléchir). Il faut ainsi les rejoindre là ils sont. La montagne est lointaine et ils commencent depuis la plaine. Imaginez-bien aussi que pour une ascension, il faut tout un équipement qu’il leur faudra acquérir : l’étonnement, la contemplation et la rigueur logique des raisonnements.

Concrètement, de quels moyens disposez-vous pour cet accompagnement ?
La pédagogie en philosophie suppose des exercices, des devoirs, mais aussi, et en premier lieu, des échanges, des entretiens qui répondent à leurs interrogations, leurs doutes voire la crainte de s’éloigner de la foi. Cours magistraux, dialogués, pédagogie inversées, tutorat, rencontres, discussions libres, représentent les figures diversifiées, pour nous, de l’enseignement de la philosophie. Dans l’ensemble, la philosophie au Studium est d’abord une question de relation : le Christ est le modèle du pédagogue y compris pour nous philosophes. Tout est une question de qualité de la relation et donc d’amour de ce que l’on transmet et à qui l’on transmet sans quoi il n’y a pas de véritable pédagogie quelle que soit la science.
Pour vous la philosophie est d’abord une question de relation. Quelle est votre expérience à ce sujet ?
Cela fait au moins 20 ans que j’enseigne au Studium et 25 ans dans le secondaire. J’ai pu par l’expérience comprendre l’importance de la qualité de la relation avec les élèves ou les étudiants. Cela correspond aussi à une anthropologie chrétienne qui est un vrai guide pédagogique. La pédagogie n’est pas qu’une affaire de technique mais d’abord une question de confiance qui consiste aussi à porter un regard sur l’étudiant qui le construit dans le respect de sa personne. Pour faire bref, tout est une question d’amour en le Christ. Dans un Studium comme dans le cadre d’une école chrétienne, nous devons nous référer explicitement à la Révélation, en confessant Jésus-Christ comme le maître de la relation et nous devons participer et le préparer à la joie du service dans le monde et à la joie de la vérité. Avec une attention aussi particulière à leur fragilité.
Accompagner est ainsi le principe et le moyen de la pédagogie. Après tout, le pédagogue est originellement celui qui accompagne l’enfant vers le maître. Accompagner, c’est aussi faire de nos étudiants des compagnons des grandes philosophies : Platon, Aristote, S. Thomas d’Aquin, Bergson, Husserl et des philosophies chrétiennes mais c’est aussi aller sur le chemin de la philosophie de la nature, de l’épistémologie des sciences, et bien entendu de la métaphysique. Pédagogie d’accompagnement qui n’est pas un renoncement à la qualité du niveau mais un souci de la progressivité patiente et bienveillante, mais surtout dans la transmission passionnée et passionnante (espérons-nous !) de la recherche de la vérité. Accompagnement qui ne néglige pas les bases nécessaires pour un dialogue fécond entre la raison et la foi. Philosophie donc ouverte dans une exigence critique et découverte des vérités. Car tous les chemins ne conduisent pas au sommet, et nos étudiants ont aussi besoin de découvrir des maîtres qui ouvrent à la beauté de la Parole de Dieu. Enseigner pour trouver la joie de la vérité « qui rend le cœur de tout homme inquiet tant qu’il ne trouve pas, n’habite pas et ne partage pas avec tous la Lumière de Dieu » (Veritatis Gaudium, n°1). Lumière qui éclaire l’homme et à laquelle participe humblement la philosophie.
Comment les étudiants vivent-ils ce dialogue entre la foi et la philosophie ?
Il faut les mettre en confiance car ils se méfient au début de la philosophie et de son esprit critique jugés trop éloignés de la foi. Peur, peut-être, que l’aventure philosophique les fasse douter dans leur conviction. Or l’homme nous rappelle l’encyclique Fides et Ratio (n°8) « est capable de parvenir à une conception unifiée et organique du savoir. C’est là l’une des tâches dont la pensée chrétienne devra se charger au cours du prochain millénaire de l’ère chrétienne ». C’est à ce travail que nous nous attelons pour les aider à surmonter leurs craintes. Il y a donc dans notre pédagogie le souci de leur transmettre une vision harmonieuse du rapport entre la philosophie et la foi.
Je me souviens du retour d’expérience d’un séminariste qui ne comprenait pas vraiment l’intérêt de la philosophie dans la mission. Or après deux années d’expérience missionnaire, il en a compris l’importance dans la mission et aussi pour la théologie. Des obstacles à la réception de la foi viennent aussi de blocages philosophiques et notamment sur la liberté ou la vérité. La philosophie au Studium est ainsi incarnée dans un souci d’évangélisation : « le souci pastoral doit imprégner absolument toute la formation des étudiants » (Veritatis Gaudium n°2) . Une pédagogie qui doit aider à la rencontre de nos contemporains, pas dans un rapport dialectique, mais dans une relation qui éclaire plus qu’elle ne condamne. Aller sur le chemin de ceux qui sont éloignés de toute vérité pour trouver des chemins et des réponses qui leur soient adaptés sans renier la vérité.
Jean-Luc Villiers-Moriamé